dimanche 28 avril 2013

LES CORBEAUX par Emile NELLIGAN -

 
 
Les corbeaux
 
J'ai cru voir sur mon coeur un essaim de corbeaux
En pleine lande intime avec des vols funèbres,
De grands corbeaux venus de montagnes célèbres
Et qui passaient au clair de lune et de flambeaux.

Lugubrement, comme en cercle sur des tombeaux
Et flairant un régal de carcasses de zèbres,
Ils planaient au frisson glacé de nos ténèbres,
Agitant à leurs becs une chair en lambeaux.

Or ,cette proie échue à ces démons des nuits
N'était autre que ma Vie en loque, aux ennuis
Vastes qui tournant sur elle ainsi toujours

Déchirant à larges coups de bec, sans quartier,
Mon âme, une charogne éparse au champ des jours,
Que ces vieux corbeaux dévoreront en entier.
 

Émile Nelligan

 
Ce poème est du domaine public.


dimanche 21 avril 2013

DANS PARIS par Paul ELUARD

     
    Dans Paris il y a une rue;
    Dans cette rue il y a une maison;
    Dans cette maison il y a un escalier; Dans cet escalier il y a une chambre; Dans cette chambre il y a une table; Sur cette table il y a un tapis; Sur ce tapis il y a une cage;
    Dans cette cage il y a un nid; Dans ce nid il y a un œuf, Dans cet œuf il y a un oiseau.
    L'oiseau renversa l'œuf; L'œuf renversa le nid; Le nid renversa la cage; La cage renversa le tapis; Le tapis renversa la table; La table renversa la chambre; La chambre renversa l'escalier; L'escalier renversa la maison; la maison renversa la rue; la rue renversa la ville de Paris.
 
Paul Eluard
(1895-1952)

dimanche 14 avril 2013

PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS par Théophile GAUTIER



Premier sourire du printemps

Tandis qu'à leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement lorsque tout dort,
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.
Dans le verger et dans la vigne,
Il s'en va, furtif perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas l'amandier.
La nature au lit se repose ;
Lui descend au jardin désert,
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant des solfèges,
Qu'aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet,
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.
Sous l'herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d'avril tournant la tête,
Il dit : " Printemps, tu peux venir ! "

Théophile GAUTIER (1811-1872) - Émaux et camées

samedi 6 avril 2013

MONTAGNE


Depuis les sommets
Jusque dans la vallée,
La neige fond
Comme un glaçon.
Voici qu'arrive la saison
Où la montagne sans façon,
Comme une belle fille
Se déshabille.
Mais sous son manteau blanc,
Elle n'est pas toute nue.
D'une jupe verte elle est vêtue,
C'est un peu plus décent.
Petit à petit,
Sa jupe se fleurit
D'une multitude de fleurs
Aux mille couleurs :
Gentianes, Ancolies
Edelweiss, génépis,
Lis martagon, potentille,
Fritillaires, pulsatiles.
Puis renaissent à la vie
Les animaux endormis :
L'aigle aux yeux perçants,
Le vautour menaçant,
La marmotte craintive,
La perdrix attentive,
Le chamois gracile,
Le mouflon agile,
Le faucon pèlerin
Et le bouquetin.
 
Quelque soit la saison
J'aime sa toison.

Anouk GODET - Mars 1988
PEP86 de la Vienne-Poèmes créés par des élèves de l'Institut d'Education Motrice de Biard. Cent différences.