samedi 28 janvier 2012

LES TROIS ANNEAUX


LES TROIS ANNEAUX

Un Sultan avait comme conseiller un vieux juif très sage.

Certains courtisans, jaloux, jurèrent sa perte et suggérèrent au Sultan de lui demander laquelle

des trois religions issues de la lignée d’Abraham était la bonne: la juive, la chrétienne ou la

musulmane.

Quelle que soit la réponse du conseiller, pensaient‐ils, on pourrait l’accuser de déloyauté ou de

duplicité et le faire exiler.

Après avoir été interrogé, le conseiller dit au Sultan :

‐ Pour répondre à ta question, je vais te raconter une histoire :

Un Roi possédait un anneau, emblème de son pouvoir et de sa sagesse, qu’il avait reçu de son père

et qui se transmettait de génération en génération depuis la nuit des temps.

À l’intérieur de l’anneau était gravée une Formule Sacrée recélant le Secret de la Vie ainsi que, en

toutes petites lettres, des clés pour décrypter cette Formule.

Le roi eut trois fils qu’il aimait tous également. À l’heure de la succession, il ne put décider auquel

transmettre l’anneau. Il le fit alors fondre par un orfèvre habile et lui demanda de façonner trois

anneaux en tous points identiques.

Dans le premier, il fit graver la Formule Sacrée avec, en toutes petites lettres, quelques unes

des clés d’interprétation.

Dans le second, il fit également inciser la Formule, accompagnée d’autres

clés.

Dans le troisième enfin, il fit inscrire la Formule et le reste des clés.

Ainsi, pensait-il,

ses enfants seraient obligés d’oeuvrer ensemble s’ils désiraient tirer pleinement

parti de la Formule Sacrée, car il fallait pour cela utiliser la totalité des clés d’interprétation.

Avant de mourir, il donna secrètement à chacun de ses fils un des trois anneaux.

Au moment de désigner le nouveau monarque, chacun des princes exhiba son propre anneau pour

faire valoir son droit à la succession, convaincu qu’il possédait l’original.

Même les plus grands sages ne purent résoudre l’énigme de savoir qui détenait le véritable

anneau.

Chaque prince instaura alors son propre royaume, convaincu que lui seul était le descendant

légitime de son père et possédait les vraies clés d’interprétation de la Formule Sacrée.

Et pendant des générations, les descendants des trois frères défendirent âprement, les armes à la

main parfois, leur conviction et leur royaume.

Jusqu’à ce jour, personne n’a réussi à les départager ni à les réconcilier.

‐ Mon histoire, dit le conseiller astucieux au Sultan, est la réponse à ta question.

Le sultan s’inclina devant la sagesse du vieux juif, le nomma grand vizir et envoya en exil les

courtisans conspirateurs.

Charles Brulhart


Pour écrire cette métaphore, je me suis inspiré d’un conte du Décaméron (première journée, troisième nouvelle), écrit en 1349 par Boccaccio

Aucun commentaire: