Que fais-tu
grand-mère ?
J’apprends la
patience et l’ennui,
Le goût de l’instant,
la joie de chaque jour,
J’apprends que la
tristesse du cœur est nuage,
Et nuage aussi est le
plaisir …
Que fais-tu grand-mère, assise-là, dehors, toute seule ?
Eh bien, vois-tu,
j’apprends.
J’apprends le petit,
le minuscule, l’infini,
J’apprends les os qui
craquent, le regard qui se détourne.
J’apprends à être
transparente.
A regarder au lieu
d’être regardée.
J’apprends le goût de
l’instant quand mes mains tremblent,
La précipitation du
cœur qui bat trop vite.
J’apprends à marcher
doucement,
A bouger dans les
limites plus étroites qu’avant
Et à y trouver un
espace plus vaste que le ciel.
Comment est-ce que tu
apprends tout cela, grand-mère ?
J’apprends avec les
arbres, et avec les oiseaux.
J’apprends avec les
nuages.
J’apprends à rester
en place et à vivre dans le silence.
J’apprends à regarder
les yeux ouverts et à écouter le vent.
J’apprends la
patience et aussi l’ennui :
J’apprends que la
tristesse du cœur est un nuage,
Et nuage aussi est le
plaisir :
J’apprends à passer
sans laisser de traces, à perdre sans retenir et à recommencer sans me lasser.
J’apprends à me
réjouir au début du printemps et à la fin de l’automne,
A voir un arc-en-ciel
dans une goutte de pluie
Et une vie entière
dans une gouttelette de soleil qui scintille sur une pierre.
J’apprends que les
chemins se divisent et se perdent,
Que les regrets sont
de petites pierres pointues qui blessent les mains qui les enserrent
Et qu’il est meilleur
que nos mains restent ouvertes …
J’apprends mes erreurs, mes chagrins, mes oublis,
Et toutes les joies
qui se faufilent, poissons d’argent dans la masse de notre vie.
Grand-mère, je ne
comprends pas : pourquoi apprendre tout cela ?
Parce qu’il me faut
apprendre à regarder les os de mon visage et les veines de mes mains,
A accepter la douleur
de mon corps, le souffle des nuits et le goût précieux de chaque journée.
Par ce qu’avec l’élan
de la vague et le long retrait des marées,
J’apprends à voir du
bout des doigts et à écouter avec les yeux.
J’apprends qu’il
n’est pas de temps perdu ni de temps gagné,
Mais que l’infini est
là, dans chaque instant … Cadeau trop souvent refusé dans le torrent des jours.
J’apprends qu’il faut
aimer, que le bonheur des autres est notre propre bonheur,
Que leurs yeux se
reflètent dans nos yeux et leurs cœurs dans nos cœurs.
J’apprends à marcher
sur des sentiers étroits sans peur,
A regarder les
montagnes qui se profitent au loin et que je n’atteindrai pas :
J’apprends les
milliers de pas qui ont marché avant moi sur ces même sentiers.
J’apprends les
vieilles traces et les jeunes nuages.
J’apprends qu’il faut
se tenir prêt à partir quand le vent souffle.
Qu’on avance mieux en
se donnant la main.
Que même un corps
immobile danse quand le cœur est tranquille.
Que la route est sans
fin, est pourtant toujours exactement là.
Et avec tout ça, pour
finir, qu’apprends-tu grand-mère ?
J’apprends, dit la
grand-mère à l’enfant, j’apprends tout simplement à être vieille.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire